Gardienne du phare du Bout du Monde pendant 24 heures à La Rochelle…
Samedi 20 septembre 2020, 16h30
A l’heure où j’écris ce récit, je me sens toujours ailleurs. Hier, à cette même heure, je venais de sauter à quai et je disais peu de temps après au revoir aux personnes qui m’ont raccompagnée à la capitainerie. Je partais avec un poster du projet « Gardien du Phare Du Bout du Monde » donné par Claire que je reçois comme un trésor. Je le mets dans mes affaires et m’éloigne sourire aux lèvres, chargée de mes sacs, victorieusement ivre de cette expérience.
Retour sur la terre ferme. Je reviens chez moi dans ma voiture en avançant au ralenti dans les embouteillages, je me sens flotter. Partie d’ailleurs, pas vraiment encore arrivée ici...
Aujourd’hui, c’est comme si j’étais en plein décalage horaire. Je sens aussi qu’il est l’heure pour moi d’écrire car je démarrerai lundi prochain une nouvelle semaine qui me fera vivre de nouvelles expériences et qui effacera aussi quelques traces de cette aventure fabuleuse vécue pendant ces deux jours.
J’ai été gardienne de phare du jeudi 17 septembre 2020 16h, jusqu’au vendredi 18 septembre, 16h.
Mais pourquoi avoir choisi de vivre cette expérience ?
Pourquoi décider -alors que nous ne pouvons plus voyager en raison de la crise sanitaire liée au COVID- de partir dans ce bout du monde là ? Retour sur les origines de ce projet...
Nous sommes en janvier 2020, je vois passer sur Facebook la photo d’une affiche montrant le phare dans une nuit bleutée. Il y est inscrit : DEVENEZ GARDIEN DU PHARE, 24h seul(e) dans le Phare du Bout du Monde, racontez-nous... Je suis immédiatement séduite par l’idée. La contrepartie est de livrer tous ses droits aux productions artistiques réalisées pendant son séjour. Je m’inscris rapidement. Quelle date choisir ? S’il est vrai que partir en hiver ou en début de printemps doit offrir des aspects positifs, la perspective de me retrouver en pleine mer par un vent glacé ne me réjouit guère. J’opte pour la date du 8 juin en espérant que le climat soit plus doux.
Je trouve à cette date une mangeoire pour oiseaux en bois dont la structure en bois ressemble à celle du phare. Je la suspends dans la cuisine. Mon regard vient régulièrement s’y poser, je la regarde en rêvant...
Contretemps. Une proposition de stage de plongée en Espagne me contraint d’annuler ma date. Je comprends au moment où je reçois le mail d’André BRONNER, dit « Yul » (prononcez Youl), le constructeur du phare et l’organisateur que retrouver une date ne sera pas chose facile. Je suis vexée car dans le stage plongée sera annulé dans un deuxième temps. Pourtant, un matin du mois de juillet, je reçois un coup de fil.
Je maudis mon emploi du temps chargé d’entretiens, je dois décliner la proposition mais je m’imagine sur le phare à plusieurs reprises dans la journée. J’ai la chance d’habiter La Rochelle, mon dossier est complet mais les rares opportunités de cet été sont impossibles à honorer. Yul m’informe mi-août que des dates vont s’ouvrir en septembre. Je lui réponds que je peux me rendre disponible dans la semaine du 12 au 18. Il m’inscrit pour le 17 septembre.
J’attends tranquillement cette date, entre impatience et quiétude. Une semaine avant, Yul m’appelle pour me demander si je suis d’accord pour passer dans un reportage du journal télévisé de TF1. Les journalistes ont décidé de venir le 17 septembre. Je lui réponds dépitée que je ne regarde que très rarement le journal télévisé. Il me rétorque que c’est une grande chance pour l’association.
-Alors, si c’est pour l’association, je dis oui !
Sans savoir dans quoi je m’embarque. Ce sera une aventure de plus !
J’en parle très peu autour de moi. Pour moi, cette aventure est avant tout intérieure. J’aimerais que les hauteurs du phare me permettent de plonger dans des profondeurs créatives.
Dès le lundi 14 septembre, je pense de plus en plus souvent à la date du 17 qui approche. Je réfléchis longuement à ce que je vais emmener à manger pour les trois repas. Le dimanche 13 septembre, nous regardons avec Francois, mon mari, les horaires de marées afin d’anticiper mon heure de départ. Nous déduisons qu’elle sera autour de 14h30.
Le mardi 15 septembre je reçois un mail de Yul :
Gardienne du 17 septembre
Bonjour,
Le 17 septembre, RDV à 14h30 à la capitainerie des Minimes. Le lendemain, nous viendrons vous chercher vers 15h45, retour capitainerie vers 16h30.
Pour faire votre sac (à lire jusqu'au bout):
Laissez votre téléphone portable à la maison.
Nous avons équipé la Phare avec :
- un lit de camp, une table, une chaise, un réchaud des toilettes sèches.
- de la lumière
- nous avons mis une bouilloire, des thermos, une cafetière à piston, une poêle, une casserole, un limonadier, un ouvre-boîte, une assiette, un verre, des couverts, un baquet pour la vaisselle, du produit, un torchon.
- nous avons mis du thé, du café, du déca, des tisanes
- il y a un jerrican avec de l'eau potable.
Vous devez apporter votre nourriture.
Vous devez apporter votre couchage et des vêtements adaptés (il peut faire froid et humide, le Phare n'est pas chauffé).
Nous conseillons des bottes ou des chaussures qui tiennent aux pieds (pas de tongs/claquettes) et des vêtements étanches si vous avez pour le zodiac... et une paire de chaussettes et chaussures de rechange.
Vous devez apporter le matériel pour l'expression de votre ressenti.
Nous avons installé de l'électricité au cas ou vous utiliseriez un appareil. Mais n'imaginez pas y brancher un chauffage, l'énergie vient des panneaux solaires.
Nous avons un sac étanche de 60 litres pour le transfert au sec de vos affaires.
CORONAVIRUS
Nous vous demandons de venir avec votre masque.
Nous avons supprimé l'oreiller et la couverture dans le Phare, ainsi que les sacs de couchage de sécurité que nous avions mis cet hiver.
Nous mettrons du gel hydroalcoolique pour passer sur les surfaces lisses. Si vous en avez, nous vous remercions de venir avec votre gel hydroalcoolique.
Pour respecter les gestes barrières, nous ne souhaitons plus prêter les cirés dont nous disposons, qui ne peuvent être lavés entre chaque Gardien.
En mer les nuits sont toujours fraîches.
Nous ne sommes pas maîtres de la météo, nous espérons de tout cœur avoir la possibilité de vous permettre de vivre l'expérience.
A bientôt
Je termine ma journée de travail le 16 septembre débordante d’enthousiasme. Je me sens en vacances et surtout à l’aube d’une grande aventure ! Je prépare mes affaires le jeudi matin, j’empreinte le sac totalement imperméable de surf d’Élio, mon fils, une façon pour moi de l’emmener un peu avec moi.... J’y mets un drap housse, un duvet, une trousse de toilette, un livre, un petit oreiller. Je suis attentivement les consignes données dans le mail : prendre deux paires de chaussures fermées, un ciré. Je ne peux pas suivre la consigne de ne pas emmener mon portable car Quentin, le journaliste de TF1 m’a appelé lundi matin et nous avons convenu que je ferai quelques films avec mon portable à l’intérieur du phare. Cependant, il restera éteint.
Je glisse évidemment mon ukulélé, quelques partitions, une dizaine de feuilles blanches, et mon nain de jardin Pépito ! Je souris en me disant que Pépito est un grand chanceux. Peu nombreux sont les nains de jardin qui peuvent se vanter de pouvoir passer deux jours dans un phare ! Il est la mascotte de l’association dont je suis la Présidente : les Optimistes Rochelais. Pépito est un nain de jardin qui a passé de longues années à s’ennuyer à regarder les escargots passer. Après plusieurs années passées statique, il décide en 2020 de vivre la Grande Vie ! Celle qui offre toute une palette d’émotions ! Je poste des photos de lui dès le 14 juillet 2020, il devient alors Pépito’z car il osera sortir de sa zone de confort. L’heure de la révolution rose a sonné ! Car Pépito est prêt à tout pour voir la vie en rose. Il est, depuis cette date, le fidèle compagnon de toutes mes aventures. Dans un deuxième sac, je pose une glacière souple qui contient une bière et une salade pour le vendredi midi. Quelques bricoles à grignoter pour le jeudi soir et le vendredi matin.
Jeudi 17 septembre 2020
13h50 : mes affaires sont prêtes. Je les charge dans ma voiture, je fais un gros bisou sur la truffe de Peanut, notre toutou et me mets en route en direction des minimes. Caramba ! Je me rends compte avec effroi au bout de sept minutes que j’ai oublié de prendre mon ciré. Retour à la case départ. Le stress augmente. Je ne sais plus bien non plus où se trouve la capitainerie, je mets en route mon GPS intérieur. J’arrive à 14h29, ouf ! Aucune place de parking près d’elle par contre, je pars donc me garer à deux-cent mètres pour me diriger à pied, mes sacs sur le dos. Je me rapproche d’un petit attroupement de quatre personnes. Là, se trouvent : Yul, sa femme Claire, et les deux journalistes : Quentin ainsi qu’un caméraman. Ils sont devant un petit cabanon en bois qui porte les inscriptions : Phare Du Bout Du Monde. Une question m’a taraudé dans ma voiture : comment vais-je faire pour ouvrir la bouteille de bière ? J’ai oublié le décapsuleur ! La perspective de regarder ma bière fraîche ce soir sans pouvoir la boire me glace le sang. Je leur pose assez rapidement la question (au risque de passer pour une alcoolique notoire !) s’il y en a un dans le phare. Claire me rassure en me disant qu’il y a un limonadier.
Nous nous dirigeons vers le port, devant les bateaux et Yul me pose quelques questions tout en filmant :
- Yul : Comment nommerais-tu cette aventure ?
- Karine : Il s’agit d’une aventure insolite dans ma ville. J’apprécie toujours de voir ce phare lorsque je passe à Port-neuf. Je le trouve élégant. Ses couleurs naturelles attirent toujours mon regard. Son toit, tel un chapiteau, semble épouser l’horizon en permanence. Je me suis très souvent demandée ce qui se trouvait à l’intérieur.
- Yul : Qu’as-tu envie d’y faire ?
- Karine : Écrire bien sûr, car je suis une amoureuse de la mer, j’écris des haïkus maritimes. Je suis une plongeuse, une adoratrice de l’océan. J’espère pouvoir passer beaucoup de temps à l’admirer. J’espère aussi pouvoir faire un concerto d’ukulélé aux crevettes, poissons, aux habitants de l’Atlantique. Ce que j’oublie de dire, c’est que je souhaite profiter de cet endroit insolite pour pouvoir remercier la vie pour tout ce qu’elle m’a apporté jusqu’à présent en chantant la chanson Gracias a la vida de Violetta Parra, une compositrice chilienne que j’admire.
- Yul : As-tu un lien particulier avec les phares ?
- Karine : Non, pas particulièrement. Je voulais amener le livre Le phare du bout du monde de Jules Vernes mais je ne l’ai pas fait. J’apprécie simplement leurs fonctions : éclairer pour éviter des naufrages et sauver des vies humaines.
- Yul : La perspective de rester seule vingt-quatre heures ne te fait pas peur ?
- Karine : Non, je l’ai vécu de nombreuses fois. La solitude est un cadeau parfois. J’aime passer du temps seule, je m’entends bien avec moi-même.
Yul : Et le fait de ne pas être connectée ?
- Karine: C’est un cadeau aussi. Il faut savoir se déconnecter pour se reconnecter à l’essentiel.
Claire m’équipe maintenant. Elle me donne une salopette imperméable. Un harnais. Un casque. Un gilet de sauvetage. Matériel de sécurité obligatoire. Nous nous dirigeons tous les cinq vers le zodiac. Il fait très chaud. J’ai soif. L’air salin me brûle les lèvres. Nous montons les affaires. Yul démarre. Ciel bleu d’été. Vent du sud est. Nous sortons du port des minimes, Yul accélère et je vois le phare se profiler. Il y a quelques vagues, je suis éclaboussée par quelques gouttes qui sont les bienvenues par cette chaleur. Nous nous rapprochons de lui. Je vois un homme debout d’une soixantaine d’année : Michel, adossé à la rambarde, nous sourit. C’est le 217e gardien de phare, je vais donc prendre sa relève et devenir la 218ième gardienne. Yul lui demande :
- C’est bien ici le Phare Du Bout Du Monde ?
Non, vous vous trompez ! Il se trouve à cinq cents mètres plus loin tout droit ! d’un ton hilare.Je souris. Il ne semble pas pressé de revenir à terre. Une grande quiétude émane de lui. Une grande satisfaction aussi. Claire lui demande de mettre son sac-poubelle en premier dans un grand seau noir et il le fait descendre grâce à la poulie. Claire monte par l’échelle et va s’occuper de faire monter et descendre les bagages. Ils sont accrochés un à un, à un gros mousqueton accroché à une longue corde elle-même rattachée à une poulie, qui permet de monter et descendre tout le matériel.
Il s’agit maintenant pour moi de monter à l’échelle haute de quatre-cinq mètres. Elle est rouillée, mangée par le sel. Arrivée en haut, je suis impatiente de découvrir le phare de l’intérieur. J’entrevois un hamac ! Cela me donne immédiatement le sourire ! Un hamac, ça va très bien avec un ukulélé !
Claire me fait une visite du phare : à droite se trouve le coin cuisine, un jerrican d’eau douce. Un petit réchaud est posé sur une table. Les anciens gardiens ont laissé toutes sortes de victuailles : des sachets de nouilles asiatiques, des soupes. Il y a même une pomme et un citron. Une boîte de sardines aussi. J’en avais également emmené une, comme un clin d’œil à mon père, Bernard, qui les adore. Je vois quelques couverts, une tasse, une poêle, une casserole.
Après le coin cuisine se trouve le coin WC. Un seau noir de belle taille fera fonction de toilettes pour la gente féminine. Des toilettes sèches sont à côté. La poubelle se trouve dessous. On la tire vers le mur pour y déposer ses déchets et on la remet en place sous la cuvette après.
Puis, c’est le coin nuit. Il est cosy. Un lit de camp pour une personne longe le mur, sur un grand tapis.Quelques grands pans de voilages crème entourent ce coin chambre. Un des pans est noué, il se balance avec le vent qui entre. Mon attention est attirée par une guirlande lumineuse. Claire m’explique que c’est un des gardiens qui l’a fabriquée durant son séjour au phare. Quinze petits phares blancs abritent chacun une loupiote. J’adore ! Cette guirlande donne immédiatement une touche poétique qui me plaît beaucoup. À côté du lit se trouvent des étagères où déposer ses affaires ainsi qu’une grande boîte en bois. C’est une Boîte à Rêves : chacun est invité à écrire ses rêves nocturnes ou ses rêveries diurnes et à les déposer dans la boîte.
Le coin officiel du gardien est quant à lui constitué d’un grand bureau et d’une chaise. Une grande carte marine avec des inscriptions de toutes sortes ainsi que des dessins tapissent une partie d’un mur. Sur le bureau se trouve le livre de Yul : Le Phare Du Bout Du Monde, expliquant toutes les étapes de construction des deux phares. Une autre boîte en bois : Le Roman du Phare. Chacun poursuit l’écrit du gardien précédent. Un peu dans l’esprit cadavre exquis. À gauche se trouve quelques crayons, un rouleau de scotch, une paire de ciseaux.
Un peu plus loin, se trouve une énorme installation électrique hermétiquement fermée, comme une énorme boîte de plastique gris.
Entre la porte d’entrée et le poteau central, est accroché un hamac.
Mes “hôtes” sont sur le départ, me laissant seule dans ma nouvelle demeure. Je prends mon ukulélé, effectue quelques accords rassurants en les regardant partir.
Sitôt éloignés, je cours me mettre du baume aux lèvres car l’air salin les brûle, soulagement immédiat ! Je décide alors de faire quelques tours sur la coursive, qui permet de faire le tour du phare. Quelle jubilation de se trouver face à l’horizon ! Je rentre dans ma nouvelle maison. Je déplie mes affaires, les dépose sur une étagère. J’observe attentivement tout ce qui se trouve dans le phare. Je n’avais pas imaginé que les gardiens et les gardienne aient laissé autant de petits mots, il y a même un jeu de piste à faire ! Mais ce n’est pas ce dont j’ai envie. Pour l’heure, je préfère me laisser bercer par le son des flots, bien installée dans le hamac, portes d’entrée grandes ouvertes.
Tiens ! Un moineau est entré et circule entre les poutres de la charpente comme s’il découvrait lui aussi ce lieu.
- Salut Toi ! Bienvenue ! C’est pas mal ici, hein ?
Des bruits extérieurs me parviennent. Comme il fait beau, de nombreuses embarcations sont sorties et passent à côté du phare : des paddles, des planches à voile, des motos de mer, des voiliers... Cette agitation m’agace un peu. Je croyais être seule et me voilà entourée d’un vacarme venant de toute part. Pour clore le tout, j’entends les paroles de trois hommes qui se rapprochent du phare en nageant. Mais que fabriquent-ils ? Et oui ! je n’avais pas réalisé qu’un phare est un repère. Du coup, les personnes se donnent pour objectif d’aller jusqu’au phare et de revenir à leur point de départ !
Je décide de faire chauffer de l’eau pour me faire un thé. J’avais emmené un sachet de thé TAMIA & JULIA, Sœurs de thé, nommé Frida. Thé vert de Chine, jasmin, pomme, basilic, hibiscus, aloe vera, graines de coriandre, fleurs de souci, groseille, notes de kalamansi, goyave, gingembre et citron. Délicieux !
Assise sur la chaise, sirotant quelques gorgées, j’entends les trois flibustiers se rapprocher... Sapristi ! Par sécurité, je ferme la porte à clef et vais m’installer au bureau pour commencer à écrire une histoire. Je les entends maintenant monter à l’échelle alors que c’est strictement interdit ! Je n’ai pas eu de consignes de sécurité. Un téléphone portable reste à demeure au cas où le gardien en ai besoin d’urgence. Je peux aussi rallumer le mien en cas d’urgence. Attendons de voir... Pour l’heure, je me rassure en me disant qu’ils ont sans doute besoin de faire une petite pause avant de repartir vers la plage.
L’histoire que j’ai envie d’écrire se dessine. Près du phare, en arrivant, j’ai entrevu un boudin de belle taille noire flottant à la surface. Il m’a immédiatement fait penser à un cachalot. Je le nomme Capitaine Fracasse, dit “Frac”.
Je décide de prendre les devants et de m’adresser aux trois pirates du dimanche. Je leur dis qu’ils peuvent faire le tour du phare mais qu’ il m’est strictement interdit de leur ouvrir la porte. Ils répondent :
Je continue à écrire mon histoire et imagine Frac les envoyer d’un coup sec sur terre ! Quelques minutes après, ils redescendent et se mettent à nager en direction de la plage.
Le courant est fort. Je les vois faire du surplace. Je les observe de temps en temps du coin de l’œil par une des fenêtres du phare en gloussant secrètement de les voir galérer. J’imagine que c’est un zodiac de la SNSM qui s’approche deux. Ils échangent quelques paroles. Les trois mousquetaires semblent convaincus de pouvoir revenir à la nage. Cependant un quart d’heure après, l’un d’entre eux montre des signes évidents d’épuisement. Ils doivent se dire qu’ils ne pourront pas revenir en nageant. Le zodiac revient alors vers eux et les ramène vers la plage.
Les bruits assourdissants des motos de mer m’exaspèrent ! Ils sont suivis par les cris de joie cette fois d’une quinzaine de windsurfeurs, femmes et hommes qui passent droit comme un i sur leurs foils. Ils semblent voler sur l’eau.
C’est beau !
Fin d’après-midi
Marée haute à 17h25. C’est l’heure qu’il est. En effet, il n’y a plus que deux ou trois mètres entre le niveau de l’eau et la plateforme du phare. Je rentre et me pose dans le hamac, un beau faisceau lumineux entre dans le phare en cette fin d’après-midi. Je prends quelques films.
18h30 : J’entends les paroles d’un couple visiblement en train de se disputer ! Elle lui reproche d’avoir eu l’idée de sortir aujourd’hui ! Ils sont chacun sur un paddle, et sont eux aussi “victimes” des effets du vent du Sud-Est ! Ils avancent péniblement et lentement.
19h : Je vois avec satisfaction les bateaux rentrer au port.
19h45 : le soleil se couche, le ciel se drape de couleur rosée. Je vais chercher ma bière, c’est une Belzébuth Pink, une bière blanche à la framboise. Je croque des cacahuètes au paprika, des olives vertes au basilic avec délice ! Je trinque avec Pépito’z à ce merveilleux coucher de soleil qui s’annonce. Une photo de lui immortalise cet instant mais je prends un risque inouï : je l’installe sur la balustrade et me dépêche de le prendre en photo. Un petit coup de vent et il faisait un plongeon dans les antres de l’océan atlantique !
Début de soirée
Nouveau petit film. Un voilier passe à côté du phare. Cette fois, une femme souriante me souhaite de bien profiter de mon expérience. Peut-être était-ce une ancienne gardienne ? Je la remercie en levant ma bouteille. Puis, j’installe le pied, j’y coince mon téléphone et enregistre une chanson des îles : Jamaica farewell d’Harry Bellafonte. J’éprouve un plaisir inextinguible à jouer et à chanter devant l’horizon teinté de couleurs chaudes.
Enfin, je commence à me sentir seule au monde. J’entends encore au loin les cris de joie et les chants d’une quarantaine de personnes sur deux catamarans qui proposent des tours au coucher du soleil. Puis, juste les bruits du vent et de la mer...
Je chante avec émotion la chanson de Violetta, Gracias a la vida.
21H45 : Épuisée par tant d’émotions, je décide de rentrer. Je lis quelques pages de mon roman mais mes paupières sont lourdes. Il fait encore très chaud. En me couchant, un bout de papier plié attire mon attention. Y sont écrits quelques mots bienvenus et rassurants.
Pour toi,
mon prochain
ma prochaine
Tes ancêtres gardiens et gardiennes
Veillent sur toi.
Le coin « chambre » du gardien
Quelle merveilleuse idée ce petit message positif au moment de s’aventurer dans les heures de la nuit. L’image d’un hamac suspendu entre deux branches d’étoiles me vient. Je l’écrirai demain dans la Boîte à Rêves.
Même avec deux boules Quiès, j’entends le clapotis de l’eau, des vagues viennent se briser sur les poteaux du phare. Les bourrasques de vent prennent le relais. Deux heures plus tard, comme je ne dors toujours pas, je commence la lecture du livre de Yul et découvre un de ses poèmes. Je ne connaissais pas l’histoire de cet homme mais il me donne l’impression d’être un bourlingueur, un marin qui a navigué sur toutes les mers du monde, un homme attiré par les conditions de vie difficiles, qui connaît bien la solitude. Un aventurier aux projets fous. Qui les réalise de surcroît !
Après avoir lu ces pages, être ici, dans ce phare semble une expérience très sécure !
Les sons des éléments naturels ne me font pas peur. Je parviens enfin à plonger dans un sommeil lourd vers trois heures du matin.
Vendredi 18 septembre 2020
7h15 : mon réveil sonne mais j’avais ouvert les yeux quelques minutes avant. Je sors. La mer est haute. L’air est frais. Nouveaux tours de coursive. Le ciel est laiteux ce matin. Légère brise. Je suis en jean et en pull. Je vais me chercher un foulard. Le calme de la mer continue de me fasciner. Quelques oiseaux la survolent. Je prends quelques photos. Seuls les cris de quelques oiseaux traversent le silence. Je goûte avec délectation ces moments de bonheur pur. J’ouvre grand les deux portes d’entrée pour voir s’éveiller la ville de La Rochelle. La teinte rosée est à nouveau présente dans le ciel. Soudain, je vois quelques reflets dans la serrure, je me lève.
Je me rends compte que le soleil vient d’émerger de l’horizon.
Bonheur des premières heures :)
C’est le même soleil rouge que le soleil couchant. Je me décale et m’assois sur une chaise pour profiter durant de longues minutes de ce fabuleux spectacle. Je bois quelques gorgées de smoothie saveur fraise, cerise, pomme, guarana , graines de lin...
8h30 : C’est l’heure du petit déjeuner ! Je tartine généreusement ma tranche de pain un peu sèche de confiture de mûres. Ma mère en fait une exceptionnelle. Je repense à la sortie « mûres » en famille avec ma mère Liliane, mes sœurs, Cécile et Léa et mon petit neveu, Gabriel. Je sors le thermos de Ricoré au lait de noisettes. J’en verse dans une casserole pour avoir une boisson chaude.
Puis je décide d’ouvrir les poèmes inscrits sur des feuilles de papier pliées entre les barreaux des fenêtres. J’en avais lu un la veille au moment de me coucher. Super. Je les ouvre tous, il y en a trente-neuf ! Ils sont écrits par Emma. Ils me font un bien fou.
En attendant, la mer se retire rapidement. Un grand nombre de personnes sont déjà en train de ramasser des coquillages. Un bulldozer s’approche du boudin noir et commence à draguer la vase autour pour l’amener quinze mètres plus loin. La civilisation revient ! J’entends des personnes se rapprocher. Le bulldozer fait maintenant un boucan d’enfer avec ses bips-bips de recul. Je décide de rentrer et de m’occuper en pensant avec nostalgie aux heures paisibles du petit matin.
Je m’assois au bureau pour commencer la lecture des deux livres d’or, sous les photos des trois « Yuls » : Yul BRYNNER, l’acteur du film Le phare du bout du monde datant de 1971, « Yul » VERNES, et Yul qui a construit le phare. C’est un des gardiens qui a accroché ces trois portraits sur le mur pour prendre l’apéritif avec eux ! Les écrits de mes sœurs et frères gardiens de phare m’animent, ils me font sourire, je me retrouve dans leurs impressions. Quelle créativité. Certains dessinent, un d’entre eux a laissé une partition de musique, d’autres font des acrostiches. Un autre me fait rire en disant qu’il a pissé du haut du phare, dissuadant ainsi quelques curieux venus chercher des coquillages accrochés aux poteaux ! Quelle curieuse sensation, cette sensation d’appartenance, cet instinct de propriété que l’on contacte à peine arrivé sur le phare. Même si ce lieu est le nôtre pour une durée pourtant ô combien limitée !
Il faut que je me dépêche, l’heure tourne. J’écris à mon tour une page dans le livre d’or, quelques lignes pour le Roman du Phare, mon rêve dans la Boîte à rêves. Il se trouve que j’ai la chance de passer le relais à Yul, le constructeur du phare qui va lui-même expérimenter l’expérience de gardien de phare. Pour le remercier, je lui réserve quelques surprises : une lettre déposée sur le bureau. J’accroche les deux feuilles de partition du morceau Il en faut peu pour être heureux.
Je lui jouerai à son arrivée et proposerai aux personnes qui l’ accompagneront de la chanter aussi.
A 12h05, j’entends des Ohé vigoureux ! Je sors de ma coquille et trouve mon Prince. Surprise ! Mon homme est venu me faire un petit coucou profitant du fait que l’on puisse gagner le phare à pied. Les quatre personnes occupées à récolter les moules sur les piliers ont bien essayé de le convaincre qu’il n’y avait personne !
Nous parlons à dix mètres d’intervalle pendant que François dévore sa salade au beau milieu de cette étendue d’algues pendant sa pause déjeuner express.
Je décide de m’installer sur la marche sous la porte d’entrée face à la côte et d’y déguster ma salade au soleil. La mer remonte rapidement. Les pêcheurs à pied s’éloignent.
Profiter encore de ces heures paisibles... Je joue à nouveau quelques morceaux de ukulélé. Je me fais un café dans la cafetière à piston que je déguste avec le brownie qui accompagnait la salade. Même si mon café mal dosé a un goût de jus de chaussettes, je savoure à fond ce moment !
Enfin, je me décide à faire mes valises. J’ai réussi à éparpiller des affaires partout en un temps record ! Brin de ménage. Pas trop compliqué, les poussières tombent dans les interstices des lattes du parquet !
Derniers tours de coursive. Des éclaboussures attirent mon attention. Je distingue bientôt des dizaines de poissons de vingt à quarante centimètres, des mulets ! Des bancs de mulets partout autour du phare ! L’un d’entre eux saute révélant ainsi des reflets argentés en surface. Magnifique ! Quel beau cadeau de départ !
15h45 Je vois s’approcher le zodiac. Je sors mon tube rose et lève le bras afin que le vent disperse des dizaines de bulles de savon autour du phare. Puis Claire, Yul et le conducteur du zodiac arrivent. Nous chantons Il en faut peu pour être heureux ensemble. Yul me pose les questions rituelles de départ tout en filmant. Je dis au revoir à ce lieu magique et descends l’échelle. Pas besoin de mettre de ciré. Mer d’huile. Apaisée.
Quelques dizaines de minutes plus tard, je suis dans ma voiture. J’admirais déjà ce phare mais maintenant que je connais les trésors qu’il contient et le pouvoir magique qu’il a, je le regarde comme un haut-lieu de réenchantement du monde.
La Rochelle, 22 septembre 2020 Karine PILLETTE